Tribunal de première Instance/Gand – 2022/1009 – 16/03/2022

Autorité

Tribunal de première instance
Gand

Date de décision

16 mars 2022

Numéro

2022/1009

Mots clés

emploi intérimaire - Loi du 11 février 2013 - ne pas déclarer dimona - non-paiement des salaires - responsabilité en chaîne - responsabilité solidaire - transaction - Travailleur étranger sans papiers - vol de salaire

Résumé

Deux travailleurs, Khaled* et Samir*, ont été identifiés lors d’un contrôle sur le lieu de travail. Ce contrôle a eu lieu dans le cadre de l’enquête menée par l’Auditorat du travail parce que des transactions suspectes ont été signalées pour un certain Ismaël* et la société BD Cleaning*. D’importantes sommes, qui semblaient liées à la société, ont été déposées sur le compte privé d’Ismaël sans qu’aucune activité ne soit déclarée à l’ONSS, ce qui a conduit à soupçonner l’existence d’un réseau d’emplois non déclarés. Fin 2019, un contrôle a eu lieu à la boulangerie industrielle EVACAKES*, l’une des entreprises qui a versé certains montants à Ismaël. Au cours de ce contrôle, il a été établi que cinq travailleurs étaient employés, dont Khaled et Samir. Aucun d’entre eux n’avait fait l’objet d’une déclaration Dimona et tous, sauf un, étaient en séjour irrégulier. Khaled et Samir ont déclaré qu’ils travaillaient en moyenne huit heures par jour et gagnaient 50 euros par jour. Ils travaillaient avec le personnel de la boulangerie et portaient également des vêtements de travail qui leur étaient fournis. Ils ont déclaré qu’ils suivaient les instructions d’un responsable d’EVACAKES. Même s’ils étaient malades ou voulaient prendre des vacances, ils en informaient EVACAKES et non Ismaël. Le responsable d’EVACAKES a été entendu et a déclaré qu’il pensait que BD Cleaning était une agence d’intérim. Il a déclaré qu’il ne savait pas que les travailleurs étaient en séjour irrégulier et qu’il n’était pas au courant des bas salaires et de la situation sociale. EVACAKES a accepté un règlement à l’amiable consistant à verser 4 500 euros pour l’infraction de « mise à disposition interdite ». L’auditeur du travail a ensuite assigné Ismael et BD Cleaning à comparaître. Khaled et Samir ont intenté une citation à comparaître à l’égard d’EVACAKES.

Le juge du tribunal correctionnel a donc dû examiner à la fois la responsabilité du sous-traitant Ismaël de BD Cleaning et celle de l’entrepreneur principal/utilisateur EVACAKES.

En ce qui concerne la procédure pénale contre Ismaël, le tribunal a estimé qu’il était jugé pour ne pas avoir rempli immédiatement de déclaration Dimona, pour avoir employé des travailleurs en séjour irrégulier, pour ne pas avoir établi de fiches de paie individuelles et pour ne pas avoir payé les salaires aux travailleurs dans les délais impartis. En outre, il est également condamné pour la mise à disposition interdite de travailleurs (à EVACAKES).

La poursuite pénale contre EVACAKES est plus complexe. Khaled et Samir, en tant que parties civiles, citent l’entreprise à comparaître, car plusieurs éléments du dossier pénal laissent supposer qu’EVACAKES a exercé une autorité patronale de fait et de droit sur Khaled et Samir. Cela voudrait dire qu’il y a eu une mise à disposition illégale de travailleurs, ce qui signifierait que l’utilisateur (EVACAKES) pourrait être tenu solidairement responsable du paiement des cotisations sociales et du versement des salaires qui n’ont pas été payés par le prestataire de services (BD Cleaning). En outre, les parties civiles invoquent les articles 35/9 et suivants de la loi sur la protection des salaires (qui vise à transposer la loi du 11 février 2013) pour considérer qu’EVACAKES, en tant que donneur d’ordre ou entrepreneur, peut être tenue solidairement responsable du paiement des salaires encore dus par son sous-traitant direct (Ismaël) aux ressortissants de pays tiers en séjour « illégal », à savoir Khaled et Samir. Le juge a estimé, d’une part, que pour les faits relatifs à l’interdiction de mise à disposition, l’action pénale a été suspendue du fait du règlement à l’amiable. En revanche, le tribunal correctionnel a précisé que les faits étaient plus largement définis par les parties civiles dans la citation en intervention et n’étaient pas identiques aux faits ayant fait l’objet d’un règlement à l’amiable. Le juge requalifie les faits et déclare que l’action pénale est recevable pour les délits de non-déclaration Dimona, de la mise au travail de travailleurs en séjour irrégulier et de non-paiement (correct) des salaires. Il se réfère à l’article 31, paragraphe 3, de la loi sur le travail intérimaire, qui stipule que « lorsqu’un utilisateur fait exécuter des travaux par des travailleurs mis illégalement à sa disposition en violation des dispositions du paragraphe 1, cet utilisateur et ces travailleurs sont considérés comme engagés dans les liens d’un contrat de travail à durée indéterminée dès le début de l’exécution des travaux ». Selon le juge de première instance, en acceptant le règlement à l’amiable, EVACAKES a reconnu qu’elle exerçait une part non autorisée de l’autorité d’employeur et il a été établi qu’EVACAKES était liée par un contrat de travail à durée indéterminée pour Khaled et Samir. Cela signifie qu’EVACAKES était tenue de respecter la déclaration Dimona, les obligations liées à l’emploi de travailleurs étrangers et le paiement correct des salaires. Le tribunal de première instance a poursuivi EVACAKES au pénal pour ces faits.

En ce qui concerne le volet civil, Ismaël et EVACAKES sont tenus conjointement et solidairement responsables de l’indemnisation des parties civiles. Ceci, parce qu’ils ont reçu une rémunération inférieure à celle à laquelle ils avaient droit en vertu de la loi sur la protection des salaires. Ils ont été condamnés à verser une indemnité de 52 000 euros et 18 000 euros respectivement. Le tribunal de première instance a explicitement indiqué dans le jugement que la situation irrégulière de Khaled et Samir, qui les empêchait d’obtenir un emploi déclaré, n’était pas liée aux violations de la loi sur la protection des salaires et qu’ils n’y ont donc pas pris part. Comme on pouvait s’y attendre, EVACAKES a interjeté appel de ce verdict.

Pour une analyse plus approfondie : voir le rapport annuel 2022 de FAIRWORK Belgium

*Note : les noms ont été modifiés afin de préserver la vie privée des personnes concernées.